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Paris Fashion Week : petites maisons, grands talents

C’est l’une des conversations les plus animées des rangs de ces défilés parisiens : quels seront les designers nommés aux postes suprêmes dans les maisons qui n’ont plus de capitaine de navire ? Les places sont effectivement vacantes chez Givenchy, Chanel ou Dries Van Noten, le Flamand présentant sa dernière collection le 22 juin. Pourtant, les talents ne manquent pas, à en juger par le début de cette fashion week masculine printemps-été 2025, présentée à Paris du 18 au 23 juin. Jeunes créateurs ou irréductibles indépendants, il y a dans la capitale un vivier dans lequel les grands groupes seraient bien inspirés de piocher.
Pourquoi Burc Akyol n’a-t-il pas déjà été débauché ? Telle est la question que l’on se pose devant sa collection « Cœur ouvert », présentée à l’Institut du monde arabe, avec peu de moyens mais beaucoup de grâce. Son mariage récent a inspiré au designer franco-turc une collection mixte faite de tenues du soir décalées : un pantalon de smoking porté avec un bustier péplum dézippé ; une chemise blanche longue comme une robe, à la boutonnière de travers.
Il y a de la beauté dans les détails, comme sur ces pulls où les contours de trous sont brodés de perles, ou ce voile blanc transparent qui s’échappe d’un pull vieux rose. Au-delà de la singularité de la proposition, il y a une vraie finesse dans l’exécution. « J’essaie de mettre toute mon énergie dans ce défilé, explique Burc Akyol. J’ai tellement de choses à dire, mais on n’a que cinq minutes pour s’exprimer. »
Le fondateur de Lemaire, Christophe Lemaire, a eu l’occasion de travailler pour une grande maison : entre 2011 et 2014, il a piloté avec succès les collections féminines d’Hermès. Depuis, avec Sarah-Linh Tran, il se concentre sur la marque qui porte son nom, et propose un vestiaire à la fois portable et singulier. « On veut donner du style, mais on est ancrés dans le réel, affirme le tandem. On essaie de comprendre les besoins et attentes de nos clients. »
Les tenues masculines et féminines se confondent, les volumes arrondis alternent avec des silhouettes étirées. Certains looks en drill de coton ont une rigueur amish ; d’autres, en laine ultrafine ou en jersey de soie, flottent gracieusement autour du corps. Mais tous correspondent à la définition que le duo donne des vêtements : « Ils doivent être des complices, apporter des solutions au quotidien pour devenir une meilleure version de soi-même. »
Chez Auralee, tout est exquis. A commencer par la simplicité de ce vestiaire mixte parfaitement maîtrisé qui évoque une promenade d’été dans un parc citadin où chacun vaque à ses occupations, journal sous le bras ou écouteurs sur les oreilles. Ce label japonais fondé en 2015 par Ryota Iwai revisite, saison après saison, les essentiels de la garde-robe. Avec la particularité que chacune des matières a été spécialement conçue pour le créateur de 41 ans, formé au Bunka Fashion College de Tokyo.
Les chemisiers sont en laine très légère, les pulls sont taillés dans un cachemire fin et le sergé de coton habille les pantalons chinos. L’allure est facile mais attirante, à l’image de ces superpositions de chemises unies et à carreaux à cols ouverts, de ce blouson bomber beige mixé à un pull gris en maille chinée, ou encore de ces pantalons de costumes larges et bruns.
Chez son compatriote Jun Takahashi, du label Undercover, l’allure est plus complexe mais non moins délicate : des ensembles en lin gaufré, des vestes en patchwork de tissus ou en dégradé de couleurs, des capes gonflées par le vent dans des tons pastel… les tenues de ces hommes qui portent des voilettes sur le visage ou un masque de dentelle sur les yeux semblent sorties d’un conte de fées.
Chez Jeanne Friot, on devine que le modèle économique de son entreprise fondée en 2020 n’est pas simple à trouver : le défilé est accueilli par l’Ecole Duperré, dont la créatrice de 29 ans est diplômée, et est soutenu par l’application de rencontre Tinder. La collection mixte et non genrée, qui s’inspire des « idoles » hétéroclites de la créatrice, de Jeanne d’Arc à Kurt Cobain, est un peu disparate, mais propose quelques silhouettes fortes : une chemise ample et une minijupe en tartan jaune ; une veste mutante moitié jean, moitié costume avec un short noir ; une combinaison perlée de taches de peinture.
« Les idoles nous offrent leur résilience, dans une époque où la jeune création se bat constamment pour exister et penser à de nouveaux systèmes de représentation », affirme Jeanne Friot. A défaut d’avoir tout à fait trouvé sa voie, on sent que sa mode non genrée et écoresponsable résonne avec les attentes d’un public − jeune − venu en nombre au défilé.
Grace Wales Bonner fait quant à elle partie des noms systématiquement cités par les acteurs du secteur lorsqu’une place se libère au sein d’une grande maison. Il faut dire qu’en dix ans la Jamaïco-Britannique a réussi à se bâtir une solide réputation de virtuose de la coupe et de l’allure. Cette collection mixte ne fait pas exception, qui met en lumière le travail méconnu de l’illustratrice textile Althea McNish (1924-2020). Venue s’installer à Londres dans les années 1950, cette artiste de Trinité-et-Tobago a travaillé notamment pour Dior et Liberty.
Ici, ses motifs floraux et tropicaux sont apposés sur des vestes zippées, des blazers, des shorts ou des casquettes. Il y a également des vestes utilitaires, des costumes en satin et des pulls en maille chinée colorée portés près du corps. On ne doute pas du futur succès de la paire de baskets Superstar entièrement pailletées, réalisée en collaboration avec Adidas. La multinationale allemande, elle, a bien saisi le potentiel de Grace Wales Bonner.
Elvire von Bardeleben et Maud Gabrielson
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